Longwy après la casse (12/04/2006)

medium_baru_-_ville_-_usine.pngLe thème de la soirée d’hier sur Arte était : le chômage n’est pas une fatalité.
Soit. Mais montrer, comme l’a fait Arte toute la soirée, que seul le marché et les baisses de charges sociales peuvent vaincre le chômage, tient plus du discours dogmatique et de la méthode Coué que d’une analyse objective du problème.
Lorsque l’on voit des images actuelles de Longwy, on se dit que Decazeville s’en sort plutôt bien. Le film de Gérard Raynal sur Decazeville, pourtant très critiqué à cause de ses images pessimistes, passe pour une « bluette » par rapport à ce film sur Longwy et sa lente agonie.

Lorsque j’entends les Lugara, une famille d'immigrés italiens installée dans la région de Longwy dans les années 50, je ne peux m’empêcher de penser au magnifique livre d’Aurélie Filippeti, « Les derniers jours de la classe ouvrière ».
Comme les Lugara, sa famille est venue habiter le bassin de Longwy afin de trouver du travail. Elle raconte sa joie du haut de ses huit ans de crier en mai 81, perchée sur le mur de l’école : « On a gagné ! On a gagné ! » sans trop comprendre ce qu’elle disait. L’ambiance était à la joie et à l’espoir. La première sortie du président François Mitterand sera d’ailleurs pour Longwy. Quelques années plus tard, Raymond Barre aura vite fait de décevoir tous ces espoirs. La sidérurgie avait alors vécu. Nous en savons également quelque chose ici, à Decazeville.
Les entreprises de reconversion, installées à coup de subventions, ont attiré les chasseurs de prime : JVC, Daewoo…
Le PED, Pôle Européen de Développement, à cheval sur trois pays (Belgique, France et Luxembourg) devait être un laboratoire pour l’Europe. 5 500 emplois devaient être créés côté France. Seulement 1 800 l’ont été réellement. L’épilogue de Daewoo Orion qui avait touché 33 millions d’euros de subventions, est le symbole de cette agonie qui s’est terminée par l’incendie de l’usine de Mont-Saint-Martin, le 23 janvier 2003. Kamel Belkani, salarié licencié en 2003, est accusé d’avoir mis l’incendie et sera condamné lourdement sans preuves.
Pendant ce temps, Kim Woo Choong, ancien patron de Daewoo, est poursuivi en Corée pour avoir détourné plusieurs milliards de dollars et se réfugie... en France !

Mais là ou le film dérape, c’est dans les solutions proposées.
Etienne Sorin de Télérama écrit fort justement : « Le commentaire à charge stigmatise la lâcheté des politiques, coupables d'avoir englouti des milliards de subventions publiques au lieu d'entreprendre la reconversion des sites. Fermer les usines, ouvrir des call centers et des hypermarchés, voilà la solution selon le reportage. Une grille de lecture simpliste et manichéenne, qui conduit à un long éloge du Luxembourg, pays voisin montré en exemple pour sa fiscalité ! »

Le deuxième reportage traitait de la situation du Yorkshire après la dure grève de 1984
Margaret Thatcher y mèna une guerre d'une violence inouïe contre le tout-puissant syndicat ouvrier anglais NUM et son chef Arthur Scargill. Une lutte à mort qu'elle remporta après avoir saigné à blanc la région. Exit la sidérurgie ! Le film raconte l'enfer vécu par les mineurs, les faillites en chaîne, les famines.
Des "clusters", équivalents à nos pôles de compétitivité pilotés par la région et financés par l'État, ont aidé les entreprises à s'implanter. On a privilégié les sociétés de services à forte valeur ajoutée. Des "job centers" efficaces ont été mis en place, qui n'hésitent pas à mettre sous pression les chômeurs pour qu'ils retrouvent coûte que coûte un emploi. Quitte à changer de secteur d'activité et à constater de grands sacrifices financiers. L'université joue un rôle central en proposant des formations en phase avec le monde du travail. Le constat est bien entendu plus que mitigé. Plusieurs anciens mineurs témoignent de la brutalité de la politique de l'emploi. Mais c'est elle qui permet à cette région d'avoir un taux de chômage inférieur à 5 %, dans un système qui privilégie la « valeur travail ».
Il est regrettable d’avoir mené l’enquête uniquement en terme de création d’emplois. Le montant des salaires est peu abordé, la protection sociale en terme de conditions de travail, de santé, d’éducation, de logement n’apparaît pas du tout.
Aucun mot sur les « travailleurs pauvres » qui sont obligés de cumuler deux ou trois petits emplois pour arriver à survivre.

La suite était du même ton. Les témoignages du Britannique Denis Mac Shane, député de Rotherham, une circonscription du Yorkshire et ancien ministre des Affaires européennes de Tony Blair, et de l'Allemand Wolfgang Clement, ex-ministre de l'Economie et du Travail de Gerhart Schroder, sous l’œil amusé et complice de Daniel Lecomte. étaient un hymne indécent à l’ultra libéralisme.
Il n ‘y a rien de pire que des gens de gauche convertis à l’ultra libérallisme.
Entre le cynisme du Britannique et le mépris froid de l’Allemand vantant ses jobs à un euro, je ne saurais dire lequel m’a répugné le plus.
La violente diatribe de l’anglais contre la déléguée CGT de Longwy Isabelle Banny, en dit long sur sa capacité de dialoguer avec d’éventuels partenaires sociaux.
Quant au paradis en matière d’éducation et de services de santé qu’il nous a décrit, il faut beaucoup relativiser. Les écoles anglaises sont « sponsorisées » par des entreprises (le contenu pédagogique doit l’être également) et les anglais qui le peuvent viennent se faire soigner en France. Tous les Britanniques ayant une résidence principale ou secondaire dans notre région vous le dirons.

La question à été posée. Pourquoi ne pas supprimer carrément les cotisations sociales sur les salaires ? Oui, mais à condition de les compenser par la fiscalité afin d’avoir tous, une couverture sociale et une retraite comme le font les pays scandinaves.
Sauf que les ultra libéraux ne veulent ni cotisations sociales, ni impôts et taxes.

Après une telle soirée, on est fier d’être français, d’avoir une jeunesse qui s’est battue bec et ongle contre le CPE, prémisse d’une déréglementation complète du droit du travail.

Pour parodier le titre de cette Théma d’Arte, l’ultra-libéralisme n’est pas une fatalité. Ce n’est juste que l’application d’un dogme qui a actuellement le vent en poupe, appuyé il est vrai, par une propagande médiatique de tous les instants et de tous les médias (1).

Les deux anciens ministres « socialistes » interrogés hier soir n’en sont que les tristes « collaborateurs ». Les socialistes français feraient bien de ne pas s’en inspirer.
Une autre société est bien sur possible. Il y a en France et dans le monde assez de travail et d’argent pour que chacun ait un emploi et un revenu.
Mais la cupidité et la malveillance d’une infime minorité de personnes aidées par les mêmes élus comme nous avons entendu hier soir, fait que nous en sommes réduits à ce qu’une grande partie de la population active soit au chômage ou dans une très grande précarité.



(1) La presse et les médias en général sont détenus en France par deux marchands d’armes (Dassault et Lagardère) qui ont construit leur immense fortune sur le dos des contribuables français.
Rappelons ce que disait M. Serge Dassault le 10 décembre 2004 sur France Inter : « Les journaux doivent diffuser des idées saines". "les idées qui font que ça marche. Les idées de gauche ne sont pas des idées saines. Nous sommes en train de crever à cause des idées de gauche qui continuent". "Il faut dire les choses qui sont la réalité, pas la fiction. Nous vivons dans la fiction et les journaux continuent la fiction en disant "M. Untel a dit ça", "M. Hollande a dit ça", "M. CGT a dit ça.". "La presse peut rendre compte, mais elle peut dire aussi "halte là, on va dans l'erreur. Ce n'est pas ça qui marche ».


Dans la presse :

Journal l'Humanité
Rubrique Médias - Article paru dans l'édition du 11 avril 2006.

Le chômage n’est pas une fatalité

« Jusqu’ici tout va bien. C’est après que ça se gâte. Car, pour arriver à cette conclusion, Daniel Leconte s’est mis en tête de comparer les modèles français et anglais. Comprenez : l’échec français face au chômage et le succès de la politique de l’emploi outre-Manche. À Longwy, ancien eldorado sidérurgique, un habitant sur dix n’a pas de travail. La faute à qui ? En vrac : à l’activisme syndical, aux perfusions étatiques, aux charges sociales trop importantes, etc. Qu’aurait dû faire l’État français ? La réponse est britannique. Dans le Yorkshire, la brutalité de la réforme libérale a permis la création d’un « monde nouveau » : celui de la flexibilité de l’emploi. On croit rêver... Zappons. »

Marie Barbier



Quelques outils pour comprendre :

Ecoutez et téléchargez les deux émissions de « La bas si j’y suis » des 25 et 26 avril 2005 : « L’affaire Daewoo » sur www.la-bas.org

Aurélie Filippeti : « Les derniers jours de la classe ouvrière » chez Stock

Les excellentes bandes dessinées d’Hervé Baruela dit Baru : les trois tomes de « Quéquette Blues » chez Dargaud et « La piscine de Micheville » chez Albin Michel qui décrivent très bien la vie d’adolescents dans le secteur de Longwy des années soixante-soixante dix (il est de Villerupt, célèbre pour son festival du film italien).
L’illustration de cette note est de Baru.

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