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03/06/2007

Yves Frémion : «L'écologie politique est la seule idée nouvelle depuis 1945»

Entretien avec Yves Frémion paru dans Libération du samedi 2 juin 2007.
Il vient de publier « Histoire de la révolution écologiste », ouvrage dans lequel il détaille les fondements de l'écologie politique, ses acteurs et son positionnement sur l'échiquier des partis, jusqu'à l'époque actuelle, avec Hulot et Voynet.
Yves Frémion est également candidat des Verts aux élections législatives dans la troisième circonscription de l'Aveyron

medium_LIBÉRATION-ogo_329x101.gifNé en 1947 à Lyon, Yves Frémion est écrivain (science-fiction et polars), journaliste (Fluide Glacial), critique de bande dessinée et créateur. Il se décrit comme un «soixante-huitard de base», qui a participé au mouvement des communautés des années 70. Libertaire, Yves Frémion rejoint les Verts en 1987. Longtemps membre du conseil national, il est le spécialiste des questions culturelles dans le parti écologiste. Député au Parlement européen de 1989 à 1994, il est conseiller régional en Ile-de-France depuis mars 1998 et candidat aux législatives dans l'Aveyron. Dans son livre publié en 2007, Histoire de la révolution écologiste (Ed. Hoëbeke), Yves Frémion retrace l'émergence de l'écologie politique depuis 1968 et son «installation» dans la société française.

Comment l'écologie politique a-t-elle émergé ?

Il ne faut pas confondre l'écologie scientifique et l'écologie politique. La première est une science définie en 1866 par le zoologiste allemand Ernst Haeckel comme «la totalité de la science des relations de l'organisme avec l'environnement comprenant au sens large toutes les conditions d'existence». L'écologie politique, c'est le passage d'une science à une conscience, puis à une organisation.

Vous distinguez aussi défense de l'environnement et écologie politique.

L'écologie politique, c'est une globalité, une pensée qui articule une révolution de la société autour d'un certain nombre d'axes : la protection de l'environnement et la sauvegarde de la nature ; la solidarité sociale ; la citoyenneté et la démocratie ; dans une perspective qui suppose des rapports Nord-Sud différents. Un combat pour l'environnement est toujours un combat social et citoyen, et inversement.
Les «environnementalistes» sont des écologistes inachevés, il leur manque une dimension. Nicolas Hulot est un environnementaliste. Il est sincère, mais il s'est fourvoyé ; il a planté les Verts à l'élection présidentielle. Il a laissé croire que des problèmes planétaires n'étaient pas politiques et pouvaient être réglés avec cinq mesures prises par n'importe quel candidat. Cela dit, il a fait avancer la prise de conscience environnementale.


Vous consacrez la première partie de votre livre aux «précurseurs» de l'écologie politique.

Je voulais montrer que l'écologie politique n'est pas née ex nihilo. Il y a des penseurs qu'on pourrait ne pas associer à l'écologie, comme Hans Jonas (1903-1993) ou Hannah Arendt (1906-1975), penseurs de l'éthique, qui ont pourtant structuré la pensée des écologistes. Le principe de responsabilité posé par Hans Jonas, on en trouve l'héritage dans le principe pollueur payeur.

Du côté des économistes ?

Jacques Duboin (1878-1976) a très tôt réfléchi au partage équitable des richesses, à «l'économie distributive» . Il dénonce la course à la production comme source de pauvreté, critique l'idéologie du progrès. Il est à l'origine de toutes les réflexions des Verts sur le revenu minimal d'existence, de même qu'il nous inspire lorsque nous demandons que l'OMC soit transformée en une OMCE, organisation mondiale du commerce équitable. Il y a aussi Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994), le grand théoricien de ce qu'on appelle aujourd'hui la décroissance. Adversaire du «développement durable», il considère que le développement d'une société ne peut être fondé que sur des éléments marchands. Au Parlement européen, au début des années 90, les Verts ont ainsi tenté d'imaginer le Bonheur national brut (BNB, à la place du PNB), avec des indicateurs de bien-être et non de profit.


Vous faites du géographe Elisée Reclus (1830-1905) le «fondateur de l'écologie politique» en France.



Grande figure libertaire, archétype du protestant austère, cet immense géographe, très concret, voulait observer sur le terrain. Pour réaliser une encyclopédie dédiée à l'histoire de la Terre, Reclus a parcouru le monde et a constaté les premières dégradations dues à l'industrialisation forcenée et à l'agriculture intensive... Libertaire, il se sent proche des peuples écrasés par le colonialisme. Géographe, il se sent proche de ceux qui luttent pour protéger la nature. C'est aussi un fervent féministe, partisan du contrôle des naissances, un pacifiste. Il est vraiment le premier à articuler tous les piliers de l'écologie politique en France.


Vous soulignez aussi le rôle de la science-fiction.

A la fin des années 60, les auteurs de science-fiction commencent à spéculer sur les sciences humaines, dont l'écologie. Avec notamment Frank Herbert, lui-même écologue, qui livre un chef-d'oeuvre de l'écologie fiction, le cycle de Dune . Mais aussi l'école catastrophiste anglaise, avec J.-G. Ballard, John Christopher, John Wyndham, plus tard John Brunner ou Christopher Priest. Ils décrivent un monde en proie aux désastres environnementaux : inondations, forêts pétrifiées, désertification, cyclones, puis la déglingue sociale...

On a justement beaucoup reproché aux écolos d'être catastrophistes.

On avait peut-être tort d'être catastrophistes, mais on avait raison, puisque ce qu'on décrivait est arrivé ! Les faits ont fini par nous donner raison, hélas : réchauffement climatique, érosion de la biodiversité, pollution des eaux...

Dans votre livre, vous montrez des unes de la Gueule ouverte , le journal pionnier de l'écologie politique.

L'écologie politique émerge en France dans la foulée de mai 1968. En 1971, le dessinateur et journaliste Pierre Fournier lance ce qu'il appelle «le coup d'envoi de la révolution écologiste en Europe», la première vraie grande manifestation écolo, un sit-in de six semaines dans l'Ain contre la construction de la centrale de Bugey. En 1972, Fournier crée La Gueule ouverte , sous-titré «le journal qui annonce la fin du monde» . Tous les écolos français sont fils de Fournier.

1974 marque la première incarnation «écologiste» sur la scène politique, avec René Dumont, pull rouge et cheveux blancs.

Il a alors 70 ans, agronome, pacifiste, président d'honneur des Amis de la Terre. Avec lui, déclare-t-il quand il se présente à l'élection présidentielle, «l'utopie fait son entrée dans l'histoire de France». Son style détonne : à l'entrée de l'ORTF, il exige qu'on enlève la pancarte «Interdit aux animaux», parce qu'en tant qu'animal, lui-même ne pourrait entrer ! Avant l'émission, il se relaxe, allongé par terre. A l'époque, les écolos sont seuls à porter le combat de l'environnement, personne ne s'en soucie dans les partis traditionnels.

Dix ans plus tard, c'est la création du parti des Verts.

L'écologie politique est la seule idée nouvelle dans la politique française depuis la dernière guerre. Du coup, elle emmerde tout le monde, elle fiche en l'air tous les schémas préexistants. Quand nous sommes arrivés pour la première fois dans les assemblées, personne ne savait où nous placer. A gauche ? A droite ? C'était des discussions interminables : les élus de gauche ne voulaient pas qu'on nous mette plus à gauche qu'eux dans les hémicycles ; à droite, c'était nous qui ne voulions pas y aller. Au Parlement européen, ils ont fini par nous mettre au fond, et nous, on disait : «Pourquoi pas devant ?»

L'écologie politique n'est née ni de la gauche ni de la droite. Elle a émergé en cherchant ses propres racines, en se fondant sur un ensemble d'idées qui fédéraient des cultures très diverses et parfois difficiles à articuler. Aujourd'hui, les points de fracture ne passent plus par l'axe gauche-droite. On a apporté une réponse à cette question depuis longtemps avec les partenariats dans des exécutifs nationaux, municipaux et régionaux. Parfois possible avec les gauches, cela ne pourrait se faire avec la droite ou l'extrême droite.

Si, pour beaucoup, l'écologie sort de cet axe sempiternel, une partie des Verts se revendiquent de gauche ; mais parmi eux, certains l'entendent comme la gauche de gouvernement et d'autres comme la gauche de la gauche. En revanche, il n'y a pas de clan pour une alliance avec la droite... Enfin, jusqu'au mois dernier, lorsque certains Verts ont prôné un ralliement à Bayrou !

A leurs débuts, les Verts étaient plutôt environnementalistes.

Les débuts se construisent en effet autour de l'environnement et avec le soutien de nombreuses associations de protection de l'environnement. Même si on trouve très tôt dans leur programme des éléments tels que la réduction du temps de travail, les Verts se font connaître par ce qui est le plus original dans leur programme : la défense de l'environnement.

Le changement se produit en 1993, avec Dominique Voynet et ses amis. Ils renversent cette vision de l'écologie, notamment en partant sur l'idée d'un partenariat avec des grands partis de gauche. Et c'est la tendance Voynet qui s'impose. Chez les Verts, chacun a sa spécialité. Voynet avait une vraie conscience environnementale, mais ce n'était pas sa spécialité, contrairement à Yves Cochet. Elle était plus forte sur les questions sociales, citoyennes ou sur la santé.

Mais pour participer à des coalitions avec la gauche, pour contribuer à la gestion, il faut montrer qu'on est compétent dans tous les domaines. Donc on a mis en valeur dans nos programmes ce qui ne l'avait pas été jusqu'alors, comme l'antiracisme, la parité homme-femme, la défense des sans-papiers, la qualité de la vie, la démocratie... Les Verts ont perdu des adhérents à ce moment-là, mais en ont gagné d'autres. Par exemple, d'anciens gauchistes qui jusque-là avaient toujours été rebutés par ceux qu'ils appelaient les «bouffeurs de carottes» !


Pourquoi les gauchistes français ont-ils été si réfractaires à l'écologie ?

Un des fondements du marxisme, c'était la haine de la campagne, le désintérêt pour les paysans – Staline les massacrera en masse, surtout les plus pauvres, sans que ça émeuve à gauche. Après 1968, il n'y a pas eu de relais des idées écologistes dans l'extrême gauche, et les gauchistes n'ont pas investi l'écologie, contrairement aux Allemands. Une des grandes différences de l'écologie politique avec l'extrême gauche, c'est que les Verts se sont toujours pensés comme réformistes ET révolutionnaires. Nous avons toujours souhaité une révolution douce, pas un Grand Soir. Or, une révolution douce, ça se construit petit à petit. Et si on veut réussir, il faut accepter des idées, même des réformes proposées par d'autres, quand elles vont dans le sens qui nous convient.


Pour les Verts, quel est le bilan de Dominique Voynet au ministère de l'Environnement ?

Pas terrible, mais mieux qu'inexistant, mieux que ses prédécesseurs ou successeurs. Parce qu'elle est écolo, elle en a pris plein la gueule. Certains services, comme la Datar, avaient les kalachnikovs braquées sur elle en permanence ! Moi, j'étais très sceptique sur ce qu'on pouvait réaliser avec un seul ministre Vert dans un gouvernement. Il aurait fallu un Vert dans chaque cabinet pour y donner le point de vue écolo, et un groupe à l'Assemblée comme relais.

Selon le baromètre du Cevipof réalisé en février, alors que l'environnement était au coeur des préoccupations des Français, les écolos historiques ne décollaient pas dans les sondages. Confirmation le 22 avril avec le faible score de Voynet. Pourquoi ce décalage ?

Quand vous n'êtes pas un parti politique fondé autour d'une idéologie, vos électeurs naviguent. Un coup, ils votent pour vous ; le suivant, ils s'abstiennent ou votent utile. 50 % des Verts ont voté Royal au premier tour. En politique, les choses n'avancent pas vite. Incomprises il y a dix ans, certaines de nos propositions sont devenues banales. Depuis cinq ans, il y a une explosion de la problématique environnementale. Maintenant, la société est d'accord avec nous. Mais le pas n'est pas encore franchi de la popularité, de la sympathie, jusqu'au bulletin de vote.


N'est-ce pas un échec alors que Nicolas Hulot a su se faire l'avocat de la lutte contre le réchauffement climatique ou l'érosion de la biodiversité ?

S'il s'était présenté, Hulot aurait fait le même score que Voynet ! Aujourd'hui, les Français ont bien conscience que les vrais dangers sont dans la crise environnementale, mais ces sujets-là sont anxiogènes. Au conseil national du parti, nous avons décidé d'organiser des assises régionales pour une refondation de l'écologie politique. Nous tenons à notre fonctionnement «basiste» , très libertaire, qui donne la parole à chacun. Alors, comment ne pas perdre cette richesse, mais gagner l'efficacité que nous n'avons pas ? De toute façon, la présidentielle est toujours une très mauvaise élection pour les Verts. Maintenant, dans la foulée du 1,57 % de Voynet au premier tour, la question est le résultat que feront les Verts aux législatives. Je suis confiant. Beaucoup de gens culpabilisent autour de ce maigre score. Ils reviendront.

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