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05/03/2011

Lettre ouverte d’Yves Frémion à André Oskola

Yves Frémion,cinéma,Millau,

Mon cher André,

 Au moment où, après 21 ans de bons et loyaux services, tu cesses ton activité à la tête des cinémas millavois, je voudrais te saluer au nom des habitants de la ville de Millau et des communes environnantes, à qui si longtemps tu as apporté ce contact avec tant d'oeuvres majeures, dans des conditions difficiles et avec tant d'intelligence.

Je ne sais si les Millavois réalisent la chance qu'ils ont eue ces années passées. Avec tes associés des débuts vous avez transformé une salle banale en un lieu d'excellence du cinéma français. Tu ne le sais sans doute pas, mais Millau est souvent cité dans les débats, tant au niveau national qu'européen (je peux en témoigner, ayant créé avec Léon Schwartzenberg et Roberto Barzanti l'intergroupe Cinéma au Parlement Européen, où l'expérience millavoise, dont j'avais donné les éléments, était montrée en exemple). Il suffit de se promener un peu dans les villes françaises pour s'apercevoir que ce qui a été réussi ici est exceptionnel : une salle projetant 130 films d'art & essai par an, dans une ville de 24 000 habitants, dont un taux d'abonnés exceptionnel. Sans oublier ce qui a été fait pour rouvrir et animer les salles de villages.

La façon indigne dont s'effectue ton départ, sous les indécentes calomnies de ceux que ton talent devait sans doute gêner, a créé dans la population un malaise relevé par nombre d'acteurs locaux, de tous bords politiques. Je tiens à y ajouter celui d'un écologiste engagé depuis 40 ans dans la culture, y compris locale. Ceux qui font la culture en Aveyron savent qu'ils doivent l'amener au public dans l'adversité résolue et constante de la plupart des politiques, de gauche comme de droite. La culture gêne, l'intelligence gêne, la réussite gêne. Dans le passé, nous avons connu la volonté de transformer les radios libres en « radio-monsieur-le-maire », les nominations contestées d'animateurs de lieux de spectacle, les pressions par chantage à la subvention, les lieux culturels récupérés pour en faire des salles de réunions ou des syndicats d'initiatives, et combien de manifestations ont dû fermer à cause de l'hostilité de certains élus ? Notre région n'a pas été épargnée par ces régressions et aujourd'hui, certains cantons restent vides de toute initiative, tant elles ont été découragées, vilipendées, chassées, au profit de fêtes municipales lamentables, de folklore passéiste ou de taureaux-piscine.

Tu viens d'être à ton tour éliminé simplement parce que tu faisais du bon travail. Le public, les citoyens, adoraient, se rencontraient, causaient, réfléchissaient. Scandale : les gens sont là pour consommer et rentrer se coucher ! Pas pour penser.

Je ne connais pas le nouveau gérant des cinémas, et n'ai rien contre lui. Je dis simplement que prendre de telles responsabilités dans ces conditions déshonorantes ne le servira pas. Il promet 150 films d'art & essai par an : nous compterons avec attention, mais fort dubitatifs. Je sais que Millau et ses environs (on venait de loin assister aux séances !) a connu 20 ans d'excellence et va rentrer dans le rang du spectacle dit de « grand public », si restreint en réalité. Que dans ce laminage, gauche et droite font assaut de zèle dans la médiocrité délibérée.

A l'image d'une époque où un Président analphabète peut agresser en public les classiques de la littérature, utilise la langue de notre pays comme un charretier, détruit le spectacle vivant, lamine le service public culturel, c'est à qui l'imitera au mieux parmi les élus locaux de toute tendance. Rares sont ceux qui font le choix de la résistance. Participer à la liquidation de ce qui a fait, plus que nos lieux de naissance, notre identité profonde, ou bien l'enrichir encore, ne devrait pas être un dilemme pour une équipe municipale qui s'affichait à gauche. A Millau, ce choix de conforter le médiocre s'est doublé d'une manière de faire d'une inélégance qui confine au suicide politique.

Je te souhaite de porter désormais cette indignité comme une médaille, ou mieux comme une gifle sur les joues de ces pauvres d'esprit. Sois assuré de mon amitié qui, je le sais pour avoir entendu ces dernières semaines tant de réactions choquées, est partagée par tous les amoureux de la culture, de Millau et largement au-delà.

 Yves Frémion, écrivain

On peut ne pas être d’accord sur tout, mais voilà une lettre joliment tournée… et adaptable.

Elle peut très bien s’adapter aux organisateurs de Skabazac par exemple qui connaissent les mêmes déboires à Onet-le-Château ou bien ailleurs….

J-L C

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