04/04/2006
Chômage, des secrets bien gardés
Voilà un livre, dont les sous-titres sont « la vérité sur l’ANPE » et souriez, vous êtes radiés », qui devrait être distribué à tous les chômeurs. Il ne laisse pas indifférent.
Après la lecture de ce livre de Fabienne Brutus, conseillère à l’emploi à l’ANPE, on aura sûrement un autre regard sur le-la conseiller-ère qui nous recevra lors d’une prochaine convocation à l’ANPE. Un regard plus bienveillant.
Fabienne Brutus nous dit que « c’est souvent de part et d’autre du guichet que la souffrance s’est installée. L’un dit le manque du travail, le besoin d’être attendu quelque part tous les matins. L’autre dit le tourment du travail, la bataille perdue d’avance, la contribution au trucage, au vaste canular… ».
Les missions principales de l’ANPE étaient de favoriser la rencontre entre l’offre et la demande, d’aider les chômeurs à trouver (ou retrouver) un emploi, une formation ou un conseil professionnel, et d’aider les employeurs à recruter.
« Les consignes sont maintenant claires : l’ANPE doit recaser coûte que coûte. Qu’importe si les emplois sont précaires, voire fictifs. La manœuvre doit être efficace et rapide, L’échéance de 2007 est proche ».
L’accroissement des pressions envers les chômeurs passe nécessairement par le renforcement des contraintes sur les conseillers de l’ANPE.
« Ecouter pendant quatre heure non-stop en « base avant » la détresse et le découragement, c’est pesant ». Prendre toute la misère du monde et n’avoir aucune solution efficace à proposer, cela est inhumain. Certains chômeurs s’en aperçoivent. « Il me plaint », dit-elle ! « Vous faites un métier difficile ». Il sait que je lui suis d’aucune utilité. Il sait même que j’en souffre.
« A la fin de la journée, toutes ces têtes défilent, vertige, tourbillon. Qu’on est été inutile, soit. C’est gênant, on ne s’y fait jamais vraiment. Mais après tout, des tas d’autres métiers sont inutiles, si on y réfléchit deux secondes. En fait, le plus dur, c’est la capacité de nuisance de l’activité de conseiller. Le cul entre deux chaises, entre conseil et surveillance ».
Sur les 23 000 employés de l’ANPE, 15 % sont des précaires, CDD divers, variés et surtout silencieux. « Un conseiller, ça ressemble furieusement à un chômeur. D’ailleurs, les dernières promotions, dans le cadre de la mise en place du PARE, ont en effet accueilli un grand nombre de demandeurs d’emplois ».
Tout est organisé pour faire croire que les emplois existent, mais que les chômeurs ne veulent pas travailler. De « stages bidons » en « ateliers » aux intitulés aussi prétentieux qu’inutiles en passant par des formations non-choisies sur des métiers « en tension », tout est fait pour culpabiliser les chômeurs.
« Les chômeurs de longue durée doivent être redynamisés, motivés… culpabilisés dans des ateliers. « Vous êtes inscrit depuis deux ans ; vous percevez l’allocation de solidarité ; il y a donc des freins à votre reprise d’emploi. » Oui, il y a des freins à leur reprise d’emploi et pas n’importe lesquels : il n’y a pas assez d’emplois ».
Oui, il manque en France 5 millions d ‘emplois, et cette rareté de l’emploi est orchestrée dans les plus hautes sphères de l’Etat. Elle permet aux politiques de démolir la législation du travail par la création de contrats de travail au rabais (CPE, CNE, Contrat d’Avenir, CIE, CAE…), aux employeurs de trouver des salariés dociles et pas trop chers et oblige les chômeurs à accepter n’importe quel travail. De chômeurs vivant avec les minimas sociaux, ils accèdent au statut de « travailleur pauvre ».
Pendant ce temps, on promulgue une loi sur « l’égalité des chances » qui devrait plutôt s’intituler « l’égalité vers la malchance », car tout est fait dans cette loi pour niveler les droits vers le bas.
« La philosophie du Plan de Cohésion Sociale se veut humaniste, mais relègue en réalité une partie des chômeurs au rang de sous-hommes, percevant un sous-salaire pour un sous-travail, ou une sous-allocation pour cause de sous-effort de recherche d’emploi… En grattant un peu, on découvre la sempiternelle volonté de bannir les pauvres aux confins du travail ».
Au Sénat, l'UMP s'apprête à modifier le texte de la loi « solidarité et renouvellement urbain » parce que 20 % de logements sociaux dans les villes de plus de 3 500 habitants, cela fait trop pour certains élus de droite.
Patrick Declerck écrit en parlant des SDF (1) :
« Curieusement, le SDF, exclu parmi les exclus, se révèle à l’analyse, au contraire, tout ce qu’il y a de plus inclus. Il occupe position et fonction dans la société. Il joue sur la scène du théâtre social un double rôle essentiel. Celui de victime sacrificielle. Et celui du contre-exemple. Il est la moderne version du corps des suppliciés pourrissant jadis en place de Grève. L’incontournable démonstration du prix de la transgression. Que l’on s’attarde. Que l’on contemple. Que l’on médite. Et qu’on se le dise… Et derrière nos bienveillantes démocraties, se cache, mutique, mais vigilante, une totalitaire obligation : Citoyen sera productif ou, lentement, et passivement, et sans bruit, mis à mort. Que l’on ne s’y trompe pas. La souffrance est organisée, mise en scène, et nécessaire. L’ordre social est à ce prix. »
Il n’y a pas un mot à changer pour parler des chômeurs.
Certes, on a un peu plus de compassion pour eux, parce qu’avec 5 millions de personnes touchées, on en connaît obligatoire quelques-uns dans notre entourage. Mais la masse de ces chômeurs fait que ceux qui ont un travail sont prêts à tout accepter pour le garder, et ceux qui n’en ont pas, prêts à tout pour en trouver un.
Ce qui est terrible, c’est que beaucoup d’hommes et de femmes se disant de gauche participent activement à cette mascarade.
« L’inutilité de l’ANPE est organisée, et sa fin orchestrée. La disparition de l’Agence au profit d’organismes privés ne chagrinera personne. Hormis les vingt-trois mille conseillers qui s’évertuent à la composer ».
« L’emploi est aussi rare que le travail est abondant. J’ai la vague impression que la moitié des gens rêve d’avoir un emploi, tandis que l’autre moitié donnerait tout pour souffler un peu… D’un côté, la quête désespérée d’une activité socialement reconnue. De l’autre, le désir profond d’échapper aux pressions d’une activité certes sociale mais dévorante. Chômeurs et salariés sont au bord du renoncement… Sans partage de l’activité et une éthique de l’entreprise, le modèle social français ne sera bientôt plus qu’un souvenir ».
Lisez ce livre de Fabienne Brutus et vous aurez une vision réaliste du chômage et des chômeurs, du difficile travail des conseillers-ères à l’emploi de l’ANPE, de l’escroquerie des statistiques du chômage et de la volonté de certains de démolir la société solidaire et humaniste qui faisait la force et la grandeur de la France.
(1) Patrick Declerck – Le sang nouveau est arrivé – L’horreur SDF – Gallimard – 10/2005
Téléchargez l’émission « Là-bas si j’y suis » diffusée le 30 mars 2006, consacrée aux radiations à l’ANPE. Nouvelle diffusion du reportage d’Olivia Gesbert avec « Marie » (Fabienne Brutus), employée de l’ANPE.
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=884
Article dans « Le Monde » du 3 avril 2004 : Fabienne Brutus, la pasionaria de l'ANPE
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-757321@51-757409,0.html
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